En tant qu'artiste, en tant que chrétien, je me devais d'aller au théâtre après les raidissements de mon Église, concernant deux pièces de théâtre jugées blasphématoires, sans avoir été vues! Roméo Castellucci (Sur le concept du visage du fils de Dieu) et Rodrigo Garcia (Golgota Picnic). J'ai été à la seconde, voici ce que j'ai vu.
« Golgota Picnic » de Rodrigo Garcia
La scène, d'abord: couverte de pains de hamburgers. Des milliers de pains de hamburgers. Une planète Mac Donald, avec dans un coin, 3 hommes plus une femme. Ce sont eux, le picnic du titre. Quelques minutes avant, à l'extérieur du théâtre, premier contrôle rapide du sac. Deux rangées: les hommes d'un côté, les femmes de l'autre, fouille au corps, déballage complet de toutes les affaires. Sas électronique, accessoires métalliques à part, comme à l'aéroport… Sur l'écran derrière la scène, un mot du metteur en scène, qui dit quelque chose comme: « J'ai honte de montrer mon travail dans ces conditions. ».
Un personnage parle. Il est question de chute. Sa propre chute, celle de notre monde, l'ange accusateur dans sa chute, sur l'écran, la femme entre ciel et terre, elle saute en parachute, le bruit énorme que fait le vent, la mer, la côte, chute libre, une petite station balnéaire quelques kilomètres sous elle. Elle porte un tee-shirt sur lequel on peut lire « ange déchu ». L'homme se souvient: sa voiture dans un précipice, la chute, son corps ensanglanté, entre la vie et la mort, une image se fixe alors dans sa paupière vacillante: un autre corps ensanglanté, sur une croix, les images qui le représentent depuis 2000 ans, une tradition picturale sanglante: celle de notre foi.
Violence des représentations de Jésus en croix, qui emplissent nos musées: que l'on brûle ces mausolées de violence, de guerre et de sang, que l'on détruise ce qui pousse l'homme à détruire. Comment ces images pourraient-elle susciter autre chose qu'un appétit mauvais? L'homme se calme. Il évoque la crucifixion de Rubens, note qu'au premier plan, le peintre a représenté son propre chien, que l'on voit aussi dans ses autres tableaux profanes. Sur l'écran, le toutou remue la tête, visiblement peu concerné par le spectacle de la rédemption qui se joue près de lui. Ce chien de Rubens, n'est-il pas à l'image de cette multitude de peintres qui ont commis la scène du Golgotha sans être plus concernés que lui?
Les monologues se succèdent, les danses, guitare électrique, piétinement des pains de hamburgers qui volent en tout sens, les personnages presque nus, peints en rouge, en bleu à mesure qu'ils dansent, orgie de postures, retour au corps et à ses fluides, à ses pulsions, à sa force, à sa fragilité, à son degré d'étrangeté mortelle, sans plus de mots, parfois. L'un d'eux dit que non, Jésus n'est pas Dieu, il n'était pas homme non plus, il ne savait pas rire, au commencement était le Rire puis vint le Verbe pour enquêter sur le rire. Ses paroles pleines d'assurance feinte, le doute d'un homme qui se questionne sur la nature du Fils de Dieu, à partir de son propre corps, humilié. L'ombre des danseurs ouvrant les bras dessine derrière eux, les suppliciés du Golgotha. Crucifié à venir, chacun est un fou désordonné et blasphémateur, dont l'existence bariolée à outrance, est un tableau votif espagnol, soit la vie elle-même.
Soudain, un piano à queue poussé sur la scène par un employé de Mac Donald, le personnage retire un à un ses vêtements d'esclavage, s'assied nu et se met à jouer l'intégralité d'une pièce de Joseph Haydn: « Les Sept dernières Paroles du Christ ». Peu à peu, des spectateurs outrés par cette fin de l'outrance, ces quarante cinq minutes de calme après la tempête, quittent la salle, à mesure que le pianiste égrène avec lenteur, sans appuyer, les différents mouvements. La sérénité retrouvée, toute révolte éteinte, les personnages, dont certains dorment déjà, semblent se préparer à ressusciter en musique, sous les traits d'un Christ apaisé, celui de Haydn. Dans la rue, des dizaines de CRS, des bataillons de gendarmerie, les intégristes peu nombreux face à cette armée, ce soir c'est la dernière, ils hurlent au loin, ils n'ont pas vu la pièce, heureusement, ils ne le méritent pas.
Théâtre du Rond-Point, 17 décembre 2011
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