mercredi, mars 16, 2011




C'est étrange, cette correspondance entre ce qui se passe au Japon et sa propre histoire. Si la catastrophe du tremblement de terre et du tsunami ne pouvait être ni prévue ni évitée (à moins de remodeler des siècles de développement urbain, portuaire, modifier l'implantation de l'habitat près des côtes), il en va autrement du risque que font courir les centrales nucléaires endommagées. En 2006, un rapport d'un sismologue japonais, Ishibashi Katsuhito prévoit le scénario actuel. Personne ne l'écoute. Plusieurs accidents mineurs lui donnent raison quelques mois plus tard, avant que ces jours-ci, son pire scénario ne se concrétise.

Comment peut-on d'un côté, bâtir des buildings capables de tanguer comme des arbres sous « le vent qui vient du sol » et de l'autre, fabriquer de véritables bombes impossibles à contrôler quand « ça souffle » sous terre?

En 1945, « ces choses là ne nous arriveront pas » donne les deux explosions que l'on connaît, qui mettent un terme à la guerre. En 2011, « ces choses là ne nous arriveront pas » déclenche une catastrophe dont on ne perçoit pas encore les conséquences. Apprivoiser le nucléaire civil était sans doute, pour l'inconscient scientifique japonais, prendre possession de 1945 et le domestiquer. Le laxisme qui consiste à le domestiquer « sur un sol qui tremble », n'est-ce pas allumer un feu de camp sur un champ de pétrole? Pourquoi cette inconscience? Peut-être qu'on touche là à la blessure la plus profonde du Japon, une blessure qui en 55 ans n'a pu cicatriser.

Quand le romancier Ôé rencontre le docteur Shigeto à Hiroshima, en août 1963, celui-ci lui raconte comment le hasard catastrophique fait parfois bien les choses: en 1945, Shigeto venait d'être nommé responsable adjoint de l'hôpital de la Croix Rouge d'Hiroshima et sa spécialité était la radiologie; c'est ainsi qu'il a vite compris la véritable nature de la bombe. Le médecin raconte ensuite à Ôé qu'un jeune collègue désespéré choisit de se pendre pendant ces journées terribles. Mais lui, Shigeto, travailla sans relâche tout un mois dans ce paysage troué, avant de partir se reposer chez lui, dans la verdure. Les radiations? Sa femme disait qu'avant la bombe, il était fragile et tendu. Il était devenu beaucoup plus décontracté et résistant.

C'est donc bien que c'est « le geste qui sauve ».

« Ni trop d'espoir, ni trop de désespoir » (Kenzaburô Ôé, A Healing family, 1995).