Réenchantement critique
La France est marquée à fond par le discours critique. Depuis que le peuple a osé critiquer le roi et a obtenu sa décapitation et le pouvoir, la critique se considère chez elle partout. La critique est devenue une marchandise dont le propos est de critiquer d'autres marchandises, un objet qui se vend aussi bien qu'un autre. "La société du spectacle" de Guy Debord est d'abord un livre qui se vend bien.
J'ai remarqué depuis longtemps que de nombreux objets de presse de ce pays emploient le même champ lexical, quel que soit le domaine critiqué, pour signaler l'oeuvre réussie (littérature, musique, art ou cinéma): il s'agit de montrer combien celle-ci décrypte avec intelligence la machine du monde, éternellement démoniaque. La seule portée critique pouvant justifier une oeuvre, de nombreux artistes s'engouffrent dans cette brèche, mine d'or inépuisable qui permet de s'attirer les faveurs des juges. L'intérêt des revivalismes et références de toute sorte donne encore plus d'épaisseur à une oeuvre, en lui conférant une polyphonie temporelle, un palimpseste critique.
De même que la pornographie nous fait découvrir que l'homme a une sexualité, le discours critique nous permet de réaliser que les ressorts du monde sont troubles.
Ce type de discours, devenu tellement prévisible (l'oeuvre critique, puis le discours critique qui la défend), avec sa capacité d'évolution proche du néant, est mort. Cependant, il faut que se perpétue et même, que s'accentue la portée critique de certaines oeuvres d'art, dans un monde toujours plus complexe. Alors comment, si le discours critique est dépassé, périmé, caduque dans sa forme actuelle? Je crois que l'avenir du discours critique se situe hors de lui et notamment, s'il est capable de montrer ce qui a survécu et n'a pas été atteint par l'extrême corruption. Je suis de ce côté-là des choses, du côté d'un réenchantement possible. Un réenchantement critique.
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