jeudi, novembre 03, 2005

mai05

Mai 68, la jeunesse s'embrase. S'embrasse. Baise et brise. Fume et brûle. Octobre 2005: la jeunesse des banlieues se révolte enfin. Contre les flics, contre le ghetto, contre l'impossibilité d'aller vivre à Paris, contre les discriminations à l'embauche, au logement, contre le beau vide qui leur est réservé.

Le nouveau film de Philippe Garrel, "Les amants réguliers", est d'abord un très beau film sur mai 68, avec son apollon de fils Louis Garrel et son père Maurice, tous deux acteurs magnifiques. Un film comme seul Garrel sait en faire: un cinéma du visage en noir et blanc. Le cinéma français est un cinéma du visage. Voilà pourquoi on peut se permettre d'avoir une Adjani qui a un gros cul (m'a dit un jour Ari Boulogne), ou une frigide comme Deneuve: ces femmes ont des visages.

Pour revenir à mai 68, cela fait 10 ans que j'attends de Garrel un film sur mai 68, vu qu'il tourne autour du pot depuis toujours. Ce film, il l'a fait et c'est un chef d'oeuvre, mille fois plus réussi que "Sauvage innocence". Son oeuvre entre par hasard pas par hasard en résonance avec l'actualité. Nous verrons si le gouvernement est capable de lancer autre chose que des grenades lacrimogènes dans les mosquées.

R A P R O P H E T I E (journal Libération)

Kool Shen
«Envoyez-nous des bons profs»

«Quelle chance, quelle chance d'habiter la France/ Dommage que tant de gens fassent preuve d'incompétence/ Dans l'insouciance générale les fléaux s'installent ­ normal/Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal/ Alors va faire un tour dans les banlieues/ Regarde ta jeunesse dans les yeux toi qui commandes en haut lieu/ Mon appel est sérieux non ne prends pas ça comme un jeu/ Car les jeunes changent, voilà ce qui dérange.»

Le Monde de demain, NTM, 1991

Kool Shen, Saint-Denis (93) : «Quand je disais aux politiques de venir en banlieue, c'était une image. A quoi ça sert de venir, si vous restez dans votre mirador ? Envoyez vos émissaires, j'espère que vous avez autre chose à foutre dans vos ministères. Sarkozy est venu à Argenteuil et vous avez vu la merde qu'il a foutue. Qu'est-ce qu'il a vu de plus que ce qu'il savait déjà ? Oui, il n'y a pas de boulot, pas d'égalité des chances à l'école, des jeunes qui traînent... Ce qu'on demandait, c'est qu'on prenne ça en considération : parce que c'est plus difficile chez nous, envoyez-nous des bons profs et des flics expérimentés. Arrêtez d'envoyer des mecs de 21 ans qui débarquent de Châtellerault. Quand PPDA demande sur TF1 à Villepin pourquoi les Portugais ont été plus facilement intégrés que les immigrés d'Afrique du Nord et d'Afrique noire, il est incapable de répondre. La France est un pays de Blancs, voilà pourquoi ça a été plus facile pour nous [Kool Shen est d'origine portugaise, ndlr]. Ma femme est noire, elle va chercher un appartement avec nos fiches de paie, on lui refuse parce qu'au téléphone elle n'avait pas précisé sa couleur de peau. Moi, je n'ai pas eu à subir ça. Même quand on était plus jeunes, c'est toujours Joey [Starr, ndlr] qui prenait. Alors, est-ce que brûler des voitures et des écoles c'est la solution ? Certainement pas, mais ça a l'air d'être la seule. D'un coup, on débloque les budgets pour créer 20 000 jobs.»

Joey Starr
«Ils ne comprennent pas»

«Combien de temps tout ceci va encore durer ? Ça fait déjà des années que tout aurait dû péter/[...] La guerre des mondes vous l'avez voulue, la voilà/Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ? Mais qu'est-ce qu'on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ?/[...] Où sont nos repères ? Qui sont nos modèles ? De toute une jeunesse, vous avez brûlé les ailes/Brisé les rêves, tari la sève de l'espérance.»

Qu'est-ce qu'on attend ?, NTM, 1995

Joey Starr, Saint-Denis (93) : «A 38 ans, je les ai tous vus passer, de Pompidou à Chirac en passant par Giscard et Mitterrand. Même en leur agitant un chiffon de merde sous les yeux, ils ne comprennent pas. J'avais aussi écrit Laisse pas traîner ton fils, mais je ne suis pas d'accord pour qu'on ne jette la pierre qu'aux parents. Moi, ce texte, je l'ai écrit pour mon père qui pensait bien faire en me coupant de mes racines.»

La Rumeur
«Un état de frustration qui mène aux violences»

«Le cul entre deux chaises, un permis de conduire aux frontières, ici une carte d'identité française périmée/ Mon gros nez, mes tifs crépus et secs annulent sa validité/ [...] un statut de paria ici, d'intrus en canceva au bled/ une culture dissoute et corrompue de A à Z.»

Blessé dans mon ego, la Rumeur, 1997

Ekoué de la Rumeur, Elancourt (78): «En tant que fils d'immigrés, on se donne le droit de poser des questions sur les rapports qu'entretient la France avec les ex-colonies, quand elle soutient des dictatures, par exemple. La prégnance des rapports Nord-Sud, la question néocoloniale ont été absentes du débat. C'est un tabou qui mériterait d'être levé . La loi de février 2005 qui veut réhabiliter le rôle positif de la colonisation, ça participe à l'état de frustration qui mène aux violences. Ce serait comme reconsidérer les bienfaits de la collaboration en 1945. Ça, plus les bavures policières impunies depuis des années. Nous, on a été attaqués par le ministre de l'Intérieur parce qu'on dénonçait cet état de faits.»

Oxmo Puccino
«On retourne cette violence contre nous-mêmes»

«Même si on est quinze mille dans le hall, à fumer et boire pour oublier notre galère, en fait, on est tout seul, mec. [...] Et puis à l'école, demande à chaque mec des cités : "T'as quoi comme diplôme ?" Il va te sortir : "J'ai un BEP, moi !" [...] Il y en a combien de millionnaires en BEP ? Tu vas voir la conseillère d'orientation, elle te sort : "J'ai un bon plan pour vous : faites un BEP chaussures." Les gens, ils m'ont attendu pour marcher ? Alors, elle va faire : "Un BEP chaudronnerie ?" Chaudronnier, tu crois que je vais faire quoi avec un chaudron ? [...] Tu sais que deux jeunes sur trois ont un gun dans les cités, un sur six a un fusil à pompe et ça peu de gens le savent.»

Peu de gens le savent, Oxmo Puccino, 1998

Oxmo Puccino, Paris XIXe : «Oui, c'est vrai qu'on est plein en bas de la cité ­ quitte à s'ennuyer, autant le faire à plusieurs ­ mais il ne faut pas réduire la banlieue à ça. Ce que je racontais dans ce morceau sur les armes qui circulent dans nos quartiers, la police le savait aussi. Mais ce n'était pas un danger pour l'extérieur. On retourne toujours cette violence contre nous-mêmes. Ce qui se passe aujourd'hui est la conséquence de la politique sécuritaire de 2002. A force de faire peur en criant : "Le loup est dans le bois", Sarkozy a fabriqué son loup et, quand il sort, tout le monde a peur. Maintenant, il faut réfléchir aux dix prochaines années, s'appuyer sur l'éducation... Mathématiquement, on ne peut pas tous être des superstars du foot ou des chaudronniers. Il faut aussi qu'on réalise l'importance du droit de vote.»

113
«Ça doit être le brouillard dans la tête des petits de 14 ans»

«Faut pas qu'y ait une bavure ou dans la ville ça va péter/La cité une bombe à retardement, j'crois ça va tester. Du commissaire au stagiaire : tous détestés !»

Face à la police, 113, 1999

Rim-K du 113, Vitry-sur-Seine (94) : «Les ministres, au lieu de dormir à l'Assemblée, de sécher les cours comme nous on faisait, gamins, ils feraient mieux d'écouter les albums de rap. C'est la jeunesse de France qui s'exprime. J'avais 20 ans quand j'ai écrit ce morceau, je me faisais contrôler une bonne dizaine de fois par semaine. Je m'attendais bien sûr à ce que ça explose. Je pensais même que ça allait dégénérer après les incendies qui ont touché les familles africaines [cette fin d'été, ndlr]. Les gens étaient encore sous le choc, et l'Etat a de nouveau géré ça de façon lamentable, comme après les deux morts à Clichy. Ce sont les plus jeunes qui ont réagi. Ça doit être le brouillard dans la tête des petits de 14 ans. En 1998, c'est la Coupe du monde ; en 2002, Le Pen au deuxième tour; en 2005, le couvre-feu.»

45 Scientific
«On est né, on a grandi ici»

«Squatter les dépôts pour les mêmes causes et mobiles, menottes argentées sur peaux d'or/Que la B.A.C. tâte sans pudeur/Inégalité pour mot d'ordre/Ici y a rien d'sûr, J'perds mon temps à m'dire qu'j'finirai bien par leur tirer d'ssus.»

Le silence n'est pas un oubli, Lunatic, 2000

Jean-Pierre Seck, du label 45 Scientific, Paris :«Une partie de la population a pris sur elle et est restée longtemps dans le silence. On a vu nos parents trimer, ne pas être considérés malgré leur travail. Eux se sont tus, nous on ne va pas se laisser faire. On est né, on a grandi ici.»

Bams
«On a fait porter aux jeunes tous les maux de notre société»

«On s'demande encore pourquoi la boulice/énerve, oxyde les nerfs d'la jeunesse ? On s'demande encore pourquoi la boulice/toujours plus de crédit sans qu'nos rapports ne progressent ?»

Boulice, Bams, 2005

Bams, Paris XVIIIe : «C'est les mamans rebeus qui appellent la police boulice. J'ai grandi dans une banlieue blanche, à La Celle-Saint-Cloud, fille d'une des premières familles africaines à s'installer là-bas. Et comme tous les jeunes, je squattais en bas de l'immeuble avec des copains : on se faisait contrôler trois fois par jour. Mais comme je suis une fille, je pouvais me permettre de l'ouvrir, ils ne m'auraient pas tapée. C'est le seul corps social aussi protégé. Ce sont des fonctionnaires, ils devraient être aussi jugés sur la qualité de leur service. Mais non, malgré les bavures, ils reçoivent toujours plus de crédits. Je suis citoyenne, pourtant j'ai besoin de la police. Aujourd'hui, plutôt que de violences urbaines, je préfère parler de fracture sociale. J'attends un grand débat national sur les discriminations. Il faudrait que les gens comprennent que les enfants qui mettent le feu en banlieue sont aussi leurs enfants. N'importe quel pédopsychiatre vous le dira : répétez à un enfant qu'il est bête et méchant, il grandit bête et méchant. On a fait porter aux jeunes de banlieue tous les maux de notre société. Ce sont eux les délinquants, eux les intégristes. J'attends plus de solidarité. Même dans nos milieux artistiques, les rockers n'en ont rien à foutre de parler qu'aux rockers, les rappeurs qu'aux rappeurs...»

Tandem
«Le tiers état, c'est fini»

«Si t'as fait de belles études/C'est mieux qu'une grosse peine sais-tu/Que faire du bitume, c'est voir des frères qui s'entubent ou qui s'entretuent/Enculé moi j'ai grillé ton plan macabre/Plus de jeunes à la morgue ça fait moins de jeunes à la barre/La vie qu'j'ai, tu la connais par coeur vu qu'c'est partout la même/ J'baiserai la France jusqu'à c'quelle m'aime.»

93 Hardcore, Tandem, 2005

Socrate, de Tandem, Aubervilliers (93) : «La France a un problème : elle refuse d'admettre que le temps de la royauté est terminé. Le tiers état, c'est fini. La France a l'habitude de choisir pour nous, de nous rendre difficile l'accès à certains métiers, à certaines richesses. Nous refusons que nos ambitions soient plafonnées. Nous voulons pouvoir réaliser nos rêves dans ce pays que nous aimons. Dans nos quartiers, quand quelqu'un fait de longues études, toute la famille s'est sacrifiée. Alors, quand il est arrêté en pleine course parce qu'on lui refuse un travail malgré ses diplômes, ça fout la rage. "J'baiserai la France jusqu'à ce qu'elle m'aime", c'est une phrase d'amour. Quand je cherche son amour, la France ne me le renvoie pas. C'est pour lui dire : je ne veux pas de la vie que tu as calculée pour moi. Je suis français et il faut que tu fasses avec moi.»

Disiz La Peste
«Soit on fascine, soit on effraie»

«J'étais un jeune de banlieue/ Maintenant je vends des disques et des films/[...]/Tous ceux qui me parlent avec condescendance/Qui croient faire des blagues toutes péraves/On n'a pas le même sens/Ni de l'humour ni de l'amour/Et pour la France peu importe ce que je ferai/A jamais dans sa conscience/Je serai qu'un jeune de banlieue.»

Un jeune de banlieue, Disiz La Peste, 2005

Disiz La Peste, Evry (91) : «Ce texte, je l'ai écrit après avoir rencontré, sur LCI, un comédien célèbre. Il s'est approché de moi en me disant : "Je connais la banlieue" et il s'est mis à me réciter l'Ecole des femmes en verlan. Il m'a demandé mes origines. Quand je lui ai dit que mon père était sénagalais, il m'a demandé si je parlais "antillais". J'étais sidéré. Il y a rarement d'attitude normale face à nous : soit on fascine, soit on effraie. Ce sont toujours deux mondes qui s'entrechoquent. Les gens ont un problème avec nous, et nous avec eux. Pour que tout s'arrange, il faudrait que la France apprenne à dire pardon ­ pour l'histoire, les colonies, parce qu'il n'y a pas d'égalité des chances, parce qu'on ne rentre pas en boîte, parce qu'on n'est pas représentés à la télé et à l'Assemblée. Il faudrait aussi que les jeunes apprennent à dire merci. Je sais que ça va choquer, mais ici, on peut encore manifester et s'exprimer parce qu'il y a des gens qui ont voté des lois en ce sens.»

Psy4 de la Rime
«Il y a quoi à aimer, à part du béton ?»

«Le monde est stone/Ils veulent nous anesthésier l'esprit/Nous disent que le paradis est ici/Le monde est stoooooone/On avance technologique au lieu d'soigner nos hémorragies.»

Le Monde est stone, Psy 4 de la Rime, 2005

DJ Sya et Soprano, Marseille : «A Marseille, c'était calme parce qu'on n'est pas cloîtré dans nos cités comme à Paris. La plus grande des cités, La Castellane, compte environ 6 000 habitants. Dans certaines banlieues parisiennes, ils sont plus de 20 000 dans des barres. Ça fait bizarre après quand tu entends Eric Raoult dire : "Aimez vos banlieues." Il y a quoi à aimer là-bas, à part du béton ? Nous, on comprend qu'aux 4 000, ils pètent les plombs. En faisant nos tournées, on s'est rendu compte qu'aucune ville ne ressemblait à Marseille. Nous, on se sent marseillais avant d'être banlieusard.»